Dans certains établissements (généralement REP collège, LP, etc.) la politique éducative veut que l’on aille sur « le terrain », personnels de direction, Adjoint Gestionnaire, DDFPT, etc. Aller sur le terrain, c’est aller où ? C’est sortir du bureau le plus possible et aller dans les lieux où sont les élèves.
Ce qu’on appelle maintenant les espaces de socialisations des établissements scolaires ont été plutôt conçus historiquement comme des espaces de gestion de flux et de stockage des élèves, en tant qu’héritage du casernement et de la conception d’une jeunesse qu’il faut contenir.
Tous les collèges gardent encore une trace de cela car le parcours de l’élève est fléché dans l’espace, il doit se trouver à une place assignée à toute heure, de la salle de cours à la salle de permanence puis à la cantine et ainsi de suite, lieux où son absence est systématiquement notifiée. C’est moins le cas au lycée où l’élève est censé gagner en autonomie.
Ces espaces reflètent la division du travail éducatif toujours à l’œuvre, les élèves y vont quand ils n’ont pas cours, ils relèvent donc de la vie scolaire en tant que service dédié avec son personnel et non pas de l’enseignement. Il est à noter que les fonctions d’AED et de CPE n’existent qu’en France où se pratique cette division du travail. La vie scolaire est à la fois un service, une série de lieux et un temps rythmé par les emplois du temps scolaires.
Ce cloisonnement est bien sûr trompeur car la socialisation se fait aussi en classe où les élèves se définissent par leur place dans la salle, leur identité dans le groupe classe et par rapport aux adultes.
On sait maintenant que la question du climat scolaire est dépendante d’une réflexion sur la distribution et l’aménagement des espaces communs, en fonction du contexte, des besoins et des contraintes.
Pour prendre un exemple simple, pour pouvoir créer un espace modulaire dans le hall tel qu’un coin fauteuil, hormis l’aspect financier, il faut penser à la réglementation de l’évacuation incendie et à la charge de travail supplémentaire des agents (déplacement des fauteuils pour le nettoyage des sols, etc.) qui ont leur mot à dire sur l’entretien de ces fameux espaces.
Le climat scolaire inclut en creux la question de la sécurité, et donc de la surveillance, même si les anciens Surveillants d’Externat sont devenus des Assistants d’Education.
De fait, on sait que les élèves se sentent en insécurité dans les espaces les moins surveillés, ce qui pose la problématique de la vidéosurveillance, tentante pour des raisons pratiques, idéologiquement clivante et coûteuse en terme d’argent public.
Plus même que de climat scolaire on parle à présent de bien-être scolaire, non seulement l’élève doit se sentir en sécurité pour réussir scolairement mais il doit aussi pouvoir s’épanouir personnellement, et notamment par la socialisation, dans le rapport à l’autre, ce qu’on inclut généralement dans la thématique de l’apprentissage de la citoyenneté.
La crise sanitaire et la digitalisation de la transmission pédagogique, en cassant les barrières école/maison, vie scolaire/vie privée, n’a fait que renforcer l’idée que l’élève n’est pas qu’un apprenant mais aussi un individu en devenir.
En parlant de vie numérique, et du continuum espace classe/espace collectif, j’ai pu constater qu’en classe certains élèves peuvent se donner rendez-vous sur Snapchat dans le but de se rejoindre dans les toilettes sur le créneau horaire suivant.
Les toilettes sont évidemment un espace stratégique, c’est un lieu légitime (besoin hygiénique fondamental) qui échappe à la surveillance, un lieu d’appropriation et d’évitement. Les échanges numériques entre les élèves fluidifient encore plus les superpositions entre temps et espace.
Autre haut lieu stratégique, c’est la restauration scolaire. On peut y trouver la photographie précise des groupes de socialisation qui se font et se défont, les marquages de situations de pré harcèlement : aller chercher les brocs d’eau, vol de nourriture, etc. Il permet le repérage des élèves isolés ou qui ne mangent pas à l’intérieur (anorexie) ou à l’extérieur (aspect social et financier). A noter que c’est cette même photographie au sens propre prise par les personnels d’éducation qui permettent le tracking de l’épidémie.
On sait que les emplois du temps des élèves influent sur la répartition spatiale, c’est déjà un choix éducatif en soi, un savant équilibre entre qualité de vie des élèves et des enseignants : nombre de permanences, créneaux laissés pour des clubs, etc.
La réflexion sur les espaces communs montre une imbrication constante entre temps et espace. Ils correspondent aussi à différents aspects de l’identité de nos élèves dont on ne peut plus ignorer la globalité.
Concrètement, j’ai pu noter que pour bénéficier d’une salle à laquelle ils ont droit statutairement (Foyer, MDL, ou salle de réunion), les élèves passent après les exigences pédagogiques car il n‘y a souvent pas d’espace attitré, c’est le primat de la transmission pédagogique.
Aux Journées Portes Ouvertes des établissements, les parents et jeunes visiteurs sont très attentifs à l’aspect des espaces collectifs, couleurs, propreté, qualité du mobilier, etc. Ils sont pour eux révélateurs d’une certaine qualité éducative. Il est vrai que quand on pénètre dans certains grands lycées historiques on peut voir un piano au détour d’un couloir en accès libre, un amphithéâtre avec une estrade, ou un coin business class avec des fauteuils club.
De notre côté, nous avons expérimenté le prêt de salles à la demande, ce qui permet de travailler l’autonomie et la responsabilité des élèves au risque des dégradations.
Ce qui signifie dans ces espaces là une certaine notion de bien commun : ceci est aussi à nous et nous ne le dégraderons pas. S’il n’y pas de sentiment d’appropriation, la socialisation peut se faire par le négatif et le rejet du bien commun et de l’espace à partager.